"Ainsi on se sentait en intimité avec ces personnages ? Ainsi
pensait-on que c'était l'un des meilleurs films du New-Yorkais agité ? Que
s'est-il passé pour que soudain la familiarité éprouvée laisse place à une
légère gêne ? Comme si on était vexé d'avoir supposé d'importants enjeux à un
film qui semble n'en avoir plus aucun. Trois soeurs sous le patronage lointain
de Tchekhov, trois vagues intellos normalement névrosées et bourgeoises, dont
Woody Allen tresse les affaires de cœur à la manière d'un diariste aux aguets.
L'aînée (Mia Farrow) est trop parfaite, ce qui autorise son entourage à
déconner un max. Son mari (Michael Caine dans le rôle d'un type à la veulerie
ordinaire) la trompe avec l'une de ses sœurs (Barbara Hershey), tandis que la
troisième (Diane West), promise au rôle de la ratée, lui tape sans arrêt du
fric et de l'énergie affective. Quelque chose dans cet habile portrait en
triptyque le laisse incomplet, insuffisant, mais quoi ?
On ne peut reprocher au
film sa lourdeur psychologique, puisque sa caractéristique est justement de
l'éviter élégamment, en incorporant en contrepoint humoristique la chronique
d'un hypocondriaque désarmant, Woody Allen himself
se coltinant sarcastiquement la peur suprême de la mort. Deux registres se
partagent ainsi le récit, éprouvant mutuellement leur justesse. Beaucoup de
comédies dramatiques ne résisteraient pas à l'irruption d'un comique lâchant
une bonne vanne, certaines au contraire expulseraient sans mal l'intrus
repentant. Woody Allen cherche depuis toujours le point d'équilibre où le
sérieux de l'existence et sa critique comique pourraient, au contraire, se
nourrir mutuellement, devenir un miroir réciproque. Mais dans Hannah
et ses sœurs, la
confrontation-fusion n'a pas vraiment lieu. Le film demeure scindé en deux
droites parallèles qui s'ignorent et ne se réunissent qu'artificiellement à la
fin. En fait, rien ne manque à Hannah
et ses sœurs, c'est juste que sa
problématique et son optimisme ont pris un coup de vieux, car la vie, le
cinéma, et Woody Allen lui-même nous ont appris depuis un autre cynisme,
un autre désespoir, une terrible misanthropie. Hannah aujourd'hui
ne fait plus le poids, la tendresse est à réinventer." (Isabelle Potel, liberation.fr)
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